Patrick Montel, la voix de l’athlétisme depuis plus de 30 ans, a eu la gentillesse de répondre à mes questions sur sa passion pour le commentaire, sur l’athlétisme d’hier et d’aujourd’hui, ou encore sur le handisport.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Déjà, il y a un problème dans la formulation, ce n’est pas un métier, c’est un état esprit. Je suis né comme ça, avec cette passion chevillée au corps. Je n’ai pas l’impression de travailler, je serai prêt à payer pour faire ce métier. Dans une autre vie, j’ai exercé un « vrai » métier, celui de professeur.
Quels sont vos premiers grands souvenirs de sport à la télévision ? Et d’athlétisme ?
Vers trois ou quatre ans, je regardais le football commenté par Thierry Roland et le rugby par Roger Couderc. Ce sont eux qui m’ont transmis cette envie et cette passion pour le commentaire. J’ai passé mon enfance avec ces deux mecs, qui étaient mes idoles, comme le sont des chanteurs pour certains. Ce sont mes premiers souvenirs de sport.
Au départ, je n’étais pas branché par l’athlétisme, mais à ma rentrée télé en 1985, il n’y avait pas de place pour commenter le football ou le rugby, mais en athlétisme. Mes premiers souvenirs datent des Jeux de Mexico en 1968 et le titre de Colette Besson sur 400m. Pour cette première diffusion des Jeux Olympiques à la télévision, je me rappelle aussi du poing levé des Américains Carlos et Smith sur le podium du 200m (le salut « Black Power » pour protester contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis).
Pensiez-vous déjà faire carrière dans le domaine ?
Surtout pas, je ne pensais pas que c’était un métier, j’avais autres ambitions, comme devenir professeur car c’était un métier noble.
Vos commentaires ont-ils changé depuis toutes ces années ?
Les commentaires sont toujours les mêmes, je ne réfléchis pas à ce que je vais dire. Il y a sans doute moins d’excitation par rapport à mon début de ma carrière.
Le fait de parler à des millions de gens en direct, notamment pendant les Jeux Olympiques, change-t-il votre façon de travailler ?
Non, je n’y pense pas, cela ne pose aucun problème. Je ne fais pas de différence en fonction du nombre de gens devant leur poste. Par exemple, lors des JO de Séoul en 1988, nous faisions grève et j’ai réveillé un ami en pleine nuit pour lui commenter le 100m et je l’ai fait de la même manière qu’à la télévision.
Comment peut-on accepter et vivre avec les critiques et polémiques ?
Il y a deux manières de réagir : ignorer ou écouter les critiques. Je ne me sens pas touché par des critiques agressives ou injurieuses, les critiques constructives sont les plus intéressantes même si elles peuvent être parfois blessantes. J’ai de la peine pour ceux qui disent des insanités sur les réseaux sociaux, cela ne me touche pas. J’étais moins exposé aux critiques avant l’arrivée du web quand nous recevions le courrier des téléspectateurs car cela n’était que positif.
Quels sont les sports que vous suivez régulièrement ?
Tous les sports, les hommes et femmes m’intéressent, il n’y pas de sports majeurs ou mineurs. C’est histoire qui m’intéresse plus que les performances, je m’en fiche que ce soit un Français qui gagne. Sinon, je regarde le rugby, le football, l’athlétisme et je me suis même découvert une passion pour la pétanque ! En revanche, il y a des sports qui me touchent plus que d’autres, par exemple je ne regarderais jamais un Grand Prix de Formule 1.
Avez-vous un rituel avant de prendre l’antenne ? Du stress ?
Non, j’essaye juste de regarder les belles filles dans le stade, c’est ce je préfère ! Je n’ai jamais eu de stress, même quand j’étais professeur, mais ça peut être problématique et peut-être que je devrais en avoir.
Quels ont été les principaux changements de l’athlétisme depuis vos débuts jusqu’à aujourd’hui, sportivement et médiatiquement ?
Sportivement, il y a évidemment le dopage, l’argent, qui sont des dérives liées dans le sport de haut niveau. Médiatiquement, le faussé est de plus en plus important entre les athlètes et les journalistes. Avant, nous étions presque comme des potes et aujourd’hui c’est beaucoup plus compliqué, même si l’athlétisme reste une exception où les athlètes sont disponibles et souriants.
Le dopage met-il en danger ce sport en terme de crédibilité ?
Je ne sais pas, je pense que les gens s’en fichent, ils veulent juste du spectacle et des paillettes. Ce qui me gêne, c’est que c’est une vraie « saloperie » et cela met la santé en danger.
Que pensez-vous de la tricherie collective en Russie et de la décision d’exclure seulement certains athlètes des JO ?
Ce n’est pas une surprise, c’est la même schéma qu’avec la RDA où il existait une volonté dopage, comme dans plusieurs pays, pour ramener plus de médailles. C’est typique du CIO qui ne veut pas se mettre à dos une nation aussi importante que la Russie. Quelque part, je peux comprendre la stratégie du CIO de donner la patate chaude aux fédérations internationales de chaque sport.
Selon vous, Usain Bolt est-il indispensable à l’athlétisme ?
Aujourd’hui oui, car l’athlétisme est en grosse difficulté médiatiquement, la fédération française vient par exemple de vendre ses images à SFR Sport, qui est peu distribué. Bien sûr que la retraite prochaine d’Usain Bolt sera mauvaise nouvelle pour l’athlétisme. L’après-Bolt sera très douloureux, il faut trouver son successeur, cela risque d’être compliqué.
Les sifflets à l’encontre de Renaud Lavillenie à Rio sont-ils excusables ?
Le public paye cher sa place, il fait ce qu’il veut. Cela ne me choque pas plus que ça même si Renaud l’a mal pris. Tu fais ce que tu veux dans un stade, tu peux être chauvin, on a le public qu’on mérite. C’est surtout le désarroi de Renaud Lavillenie qui m’a choqué.
Pour conclure sur l’athlétisme, quel est votre athlète coup de cœur ?
Déjà un athlète africain, car encore une fois, c’est plus l’histoire que la performance qui m’intéresse. Sans doute je dirais Haile Gebresselasie, car il défend des valeurs fortes, mais aussi Bernard Lagat. Ils m’ont marqué par leurs performances, mais surtout par leur fair-play. J’ai pu le voir car j’ai eu la chance la chance de vivre quelque temps aux côtés de « Gebre ».
Quelles sont vos impressions sur les Jeux Paralympiques, un succès à la fois au Brésil avec un vrai engouement, mais également en France et des audiences excellentes (13,6 millions de téléspectateurs au total) ?
C’est intéressant et prometteur. Mais je ne suis pas sûr qu’il va y avoir immédiatement une amélioration des conditions de vie des « handi ». Le chemin est long, c’est une première avancée. Avant le début des Jeux Paralympiques, on craignait le pire… Il faut maintenant que les gens changent leur façon de voir les handicapés, les croiser sans détourner le regard.
Y a-t-il encore beaucoup de chemin à parcourir ou cette médiatisation est maximale ?
C’est déjà vraiment bien ce qu’a proposé France Télévisions, nous avons transformé l’essai. Il faut considérer un homme, handicapé ou pas, pour ce qu’il est, et cela passe par une forte médiatisation. La même opération devrait avoir lieu dans deux ans avec les JO d’hiver. Pour moi, le seul intérêt du sport est d’améliorer la société : les générations et genres se côtoient, les jeunes peuvent avoir des perspectives, le sport apporte aussi plus de bonheur à tout le monde.
Etes-vous pour ou contre la candidature de Paris 2024 ?
Je suis contre non pas dans la perspective de voir des Jeux Olympiques en France, mais car les JO sont une machine géante qui exige des sacrifices financiers. Les pays organisateurs s’endettent et je ne veux pas qu’on oblige les contribuables à payer. Aujourd’hui, seuls des pays comme le Qatar peuvent organiser des Jeux. Mais heureusement, Paris n’a aucune chance car pour moi ils sont déjà attribué à Los Angeles à cause de la chaîne NBC qui n’aurait pas mis autant de moyens si les JO étaient en France.
Avez-vous un regret jusqu’à présent sur votre vie de commentateur ?
Oui, l’énorme regret que le temps passe trop vite. Le temps est très élastique, j’aimerais mourir au micro, mais je ne suis pas certain qu’on me laisse à l’antenne aussi longtemps. On verra bien quand cela arrivera, je ne crois pas en Dieu.
Pour finir, quelles sont vos trois plus grandes émotions de commentateur ?
En premier, je dirais le 10.000m féminin aux Jeux de Barcelone en 1992. Il y avait un grand spectacle entre Tulu et Mayer, mais surtout un symbole entre une Sud-africaine, dont le pays sortait tout juste de l’Apartheid, et une Éthiopienne qui remporte le premier titre olympique féminin pour l’Afrique noire. Cette course représente l’unité et la fraternité entre les Blancs et Noirs.
En deuxième, le concours de longueur aux Mondiaux de Tokyo en 1991 a livré une immense dramaturgie entre Carl Lewis et Mike Powell, qui a battu le record du monde et qui le détient encore (8,95m).
Enfin, la victoire Ben Johnson sur 100m à Séoul en 1992 m’a marqué. Avant son titre, il était rejeté car noir et bègue, ce qui était deux problèmes dans la société. Cela reste un grand souvenir même s’il a rapidement été pris la main dans le pot de confiture (deux ans de suspension pour dopage).