Avant de remettre le nez sans modération dans cette drogue vitale qu’est le sport, il faut accepter la punition due à ces longues semaines sans compétition (à quelques futiles exceptions près). Mais une fois toutes ces épreuves passées, ces obstacles franchis, ces difficultés surmontées, qu’y aura-t-il à l’arrivée ?
Lorsque le bruit des crampons dans les couloirs se fera de nouveau entendre, lorsque le silence assourdissant du hawk-eye planera de nouveau au-dessus des courts, lorsque ces foules de pédaleurs dévaleront de nouveau avec fracas les routes françaises, italiennes et espagnoles, lorsque ces vêtements et visages par millions auront de nouveau la trace et l’odeur de l’effort, les frissons regagneront les corps de tous ceux qui patientent dans le flou avant de retrouver leurs idoles ou leur dose journalière.
Alors que les annonces de reports en cascade ont rythmé l’actualité sportive des premières semaines d’enfermement, ce sont désormais les lueurs d’espoir qui entretiennent un quotidien brumeux. Comme celle d’un Tour de France couru en septembre chevauchant un Roland-Garros bien frileux, ou ces rumeurs promettant une reprise rapide des grands championnats européens de football et d’un excitant final de Ligue des Champions façon Coupe du Monde, disputé sur le mois d’août.
La bave autour des lèvres, le couteau entre les dents
Mais la tenue de ces événements paraît toujours utopique, et les terrains de sport sont encore loin d’être la priorité absolue. Ils ne seront que le témoin d’une société de retour à la normale, ou presque. Il n’a pas fallu attendre les mots du Premier ministre pour se rendre compte qu’un redémarrage de la vie active et donc des échéances sportives ne se ferait pas comme ça, comme si de rien n’était, comme si la quiétude des vacances allait traditionnellement laisser place à l’ébullition de la rentrée. Comment tournera la planète sport lorsque l’heure de la reprise aura sonné ?
Comme pour toutes les activités récréatives, il faudra évidemment être prudent avant de se masser comme avant les uns avec les autres. Mais dès lors que les rassemblements seront autorisés, dès lors que les sifflets ou coups de feu retentiront, les spectateurs et acteurs auront la bave autour des lèvres, le couteau entre les dents. Pour tous ces confinés en détention provisoire à domicile, la libération sera savoureuse et savourée comme il se doit. Même le roi du sprint Usain Bolt le conçoit : « Les gens réalisent en ce moment comment le sport est important. […] Alors ils vont être encore plus affamés, excités quand ça va reprendre ».
Avant de recommencer à vibrer devant ces virtuoses en tout genre, il faut actuellement investir sur les buteurs biélorusses ou sur les chevaux suédois, derniers résistants du Covid-19, pour entretenir la flamme et continuer à frémir. Pour cela, il est aussi possible de se retourner vers les grandes dates pour vivre ou revivre des moments d’histoire, forcément moins savoureux en différé de plusieurs années ou décennies et avec le résultat connu d’avance. À moins d’être Rohan Dennis et de briser ouvertement, fièrement et stupidement le confinement pour assouvir sa passion à tout prix alors qu’il n’a aucune course de prévue à préparer.
Aujourd’hui, ce marathon à tâtons reste incertain et tumultueux dans le brouillard. L’éclaircie est désormais perceptible, mais toujours pas atteignable dans l’immédiat. Il faudra encore patienter pour revoir Benoît Paire en dehors de son salon – bien que ses apéros en live avec Stan Wawrinka soient savoureux – et de nouveau à briser ses raquettes. Patienter pour participer ou écouter des débats passionnants, houleux et incessants sur le VAR. Pour insulter arbitres, sportifs, dirigeants, journalistes derrière son écran ou sur son siège dans les gradins. Pour savoir si le TFC parviendra à étirer sa série d’invincibilité à plus de deux mois (pour rappel, un nul et dix-sept défaites sur les dix-huit dernières rencontres de championnat).
L’éloignement et la méfiance feront place au rassemblement et à l’insouciance
Ce 11 mai 2020, s’il ne signera pas d’un coup le retour de tous les événements sportifs planétaires, sera attendu par tous comme un 12 juillet 1998 ou un 15 juillet 2018. L’excitation n’est certes pas la même, il ne s’agit pas de trépigner seulement quelques jours avant de vivre un moment d’éternité. Mais si la reprise des grandes activités physiques médiatiques ne sera pas forcément sportivement à la hauteur de ces jours de gloire, l’émotion et la joie seront au rendez-vous. Retrouver, tous ensemble, un plaisir quotidien après de longues semaines de privation et de lutte collective, ça vaudra toutes les étoiles du monde. L’éloignement et la méfiance feront petit à petit place au rassemblement et à l’insouciance que tous ces artistes peuvent habituellement générer.
Vivre l’instant T, sans calcul, sans crainte, sans lendemain, voilà aussi ce qui fera que la reprise sera belle, un peu comme la première éclosion florale annonçant un printemps radieux avant même la chaleur de l’été. Une culture de l’instinct qui tranchera avec la passivité ambiante de ces journées, toutes plus semblables les unes aux autres. Le sport pourrait donc reprendre d’ici un mois à peine, avec un programme complètement décalé. Il n’y a plus de saisons, et cela n’a jamais été aussi vrai qu’en 2020. Les fleurs commenceront alors leur bourgeonnement début juin, à l’époque où la petite balle jaune de Porte d’Auteuil occupe d’habitude ses spécialistes improvisés, cachés derrière leurs lunettes de soleil fumées et sous leurs panamas blancs.
Les grosses chaleurs écraseront ensuite le peloton de la Grande Boucle à l’époque où les écoliers écouleront leurs premières cartouches d’encre. Quant au ballon rond, alors qu’il aurait dû hiberner un court mois, il pourrait refaire son apparition à une période où il fait habituellement parler de lui pour ses transactions surdimensionnées. Mais il devra faire avec. Il faudra faire un petit effort, le 12 juin, il faudra laisser passer 365 petites journées supplémentaires avant d’assister à cet Euro 2020 – ou 2021, on ne sait plus comment l’appeler – et son organisation éclatée, dans toute l’Europe.
Et les Jeux Olympiques dans tout cela ? À en croire certains experts, la prudence est de mise avant d’affirmer que l’olympiade tokyoïte se tiendra bien du 23 juillet au 8 août 2021. Si tel était le cas, il se pourrait bien que le globe assiste à l’une des meilleures quinzaines olympique de l’histoire. Parce que le Japon, s’il décide de maintenir l’échéance tant attendue à ces dates, sera prêt. Car il n’est pas vraiment réputé pour avoir une organisation négligente, il a au contraire plutôt pour habitude de gérer parfaitement les événements. Et puis parce que toutes celles et ceux qui participeront à cette fête si singulière auront eu à patienter au minimum une demi-décennie pour revoir la flamme de leurs propres yeux. Cinq ans de préparation pour la plupart, un rendez-vous devenu rare qui lui donnera un caractère absolument immanquable.
En attendant toutes ces éventuelles réjouissances, profitons de ces dernières semaines de liberté et d’évasion – à domicile bien sûr – avant de retomber dans la boucle infernale du calendrier sportif qui ne pourrait donner aucun répit avant au moins une année. Après le (long) confort, viendra l’effort. Car le sport n’est pas mort, il ne fait que somnoler. Et son réveil sera terrible.